Jérémy claqua la porte de la voiture. Une fois encore, il s’était pris la tête avec sa mère. Jetant son sac à dos sur les épaules, il partit à grands pas vers l’entrée du lycée. Depuis quelque temps tout allait mal, il se sentait mal. D’ailleurs ça recommençait. Il dut s’appuyer sur un des piliers du hall. Frottant ses yeux de son pouce et de son index, il respira fort pour faire passer la violente migraine qui l’assaillait soudainement. Des images flashaient dans sa tête, un sentiment d’urgence, une angoisse. Il ne voulait pas y prêter trop d’attention, mais il craignait la folie, la schizophrénie. Après une petite minute, l’intensité des sensations s’évapora, il lui restait un malaise diffus. Il prit le chemin des ateliers où il avait cours.
***
Aveline commençait à paniquer. Elle avait passé beaucoup de temps à les observer ces deux-là, car ils répondaient au profil des hybrides. : grands, plus que la moyenne, forts, avec une propension à la violence. Il lui restait à déterminer s’ils révélaient un don particulier : visions du futur, rapidité, capacité à guérir, n’importe quoi qui sorte du registre ordinaire pour un être humain et qui lui confirme son analyse. Pour cela, il fallait observer, rentrer en interaction. Mais ce coup-ci, elle s’était fait avoir. Ces deux imbéciles avaient repéré son manège, ils pensaient avoir une ouverture. Ils l’avaient saisi par surprise, jetée contre le mur derrière l’atelier, là où personne ne pouvait les voir. Elle était coincée, un à sa droite, un à gauche, ils se penchaient sur elle avec gourmandise. Elle savait ce qu’ils voulaient et qu’elle ne pourrait pas se défendre. Elle avait manqué d’intelligence. Le premier balourd chercha à l’embrasser. Elle détourna vivement la tête pour éviter ce contact. Mauvaise idée.
– ah ! tu résistes, on te croyait moins farouche petite rousse.
– Lâchez-moi, grogna Aveline
– Kevin, tiens-la !
Le deuxième type saisit un de ses poignets, il avait une force de dingue, la fit pivoter contre lui et bloqua son autre main. Impossible, elle n’arriverait pas à se libérer.
Elle se mit à hurler…
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Son sang ne fit qu’un tour. Il se précipita vers le cri et compris tout de suite la situation. Il l’avait entrevue dans sa tête quelques instants plus tôt. Il ne s’attarda pas à analyser le pourquoi du comment. Il fonça.
– Et vous ! Laissez-la tranquille !
Il n’avait pas peur. Il se sentait même puissant, à sa place. Rien n’aurait pu l’empêcher d’intervenir.
– Tu ne veux pas profiter avec nous, fit le lourdingue.
– Je répète, lâchez–la ! sa voix raisonnait comme le grondement d’un chien qui se prépare à attaquer.
– Ou quoi ?
Le lourdingue s’adressa à son pote,
– Tiens là, je vais régler ça.
Une masse de 100 kg se précipita vers Jérémy. Il demeura calme. Il pouvait anticiper. Il avait vu la scène. Sachant ce que l’autre aller faire, il pliât légèrement les genoux, bandit ses muscles et se tint près. Lorsque son adversaire parvint à sa hauteur, Jérémy le saisit sans effort et le fit virevolter pas dessus sa tête. Atterrissage violent au sol. KO du premier coup.
Il se précipita alors vers Kevin qui affichait un air horrifié, celui-ci lâcha sa prisonnière et voulu s’enfuir. Jérémy le rattrapa, serrant le col de son sweat, il le souleva à 20 cm du sol et lui colla la trouille de sa vie.
– Ne t’avise plus jamais de t’attaquer à quelqu’un de plus faible que toi. Ce n’était pas une suggestion, c’était un ordre, sa voix vibrait d’une force. L’autre se soumit.
Jérémy du se faire violence pour ne pas frapper le type. Il le balança par terre et avec difficulté, submergé par sa colère, il rejoignit la jeune fille rousse. Elle gisait maintenant au sol, immobile, consciente, mais choquée. C’était compréhensible. Son visage pâle, ses larmes le calmèrent immédiatement.
– Viens, lui dit-il, je t’amène à l’infirmerie.
Il la souleva délicatement et, passant devant le lourdingue toujours allongé, il refréna à nouveau avec difficulté une envie de lui balancer encore un coup de pied bien senti. On ne frappe pas un adversaire à terre.
***
Aveline se réveilla un peu déboussolée. Elle avait mal au poignet et soif. Elle reconnaissait l’infirmerie, le matelas plastifié, l’odeur de médicament, le silence.
S’essayant, elle repensa aux derniers évènements. Elle avait été choquée oui, mais pas juste par l’agression. Non, ce qui l’avait cloué au sol, paralysé presque, c’était la puissance du type qui l’avait sauvée. Il avait le don de plier les gens à sa volonté, le savait-il ? Elle venait de trouver son hybride et bon sang, il était effrayant. Il remplissait les critères : force inouïe, physique d’athlète, beauté du diable, mais il avait en plus une aura dont il n’avait apparemment pas conscience. Enfin, ses yeux la dérangeaient. Ils avaient changé de couleur. Processus inexistant chez les humains, mais bien connu chez les fées, ils étaient devenus noirs.
Il ne lui restait plus qu’à le repérer à nouveau, le convaincre sans l’énerver et le ramener chez elle. La semaine n’annonçait intense.
***
Couloir du quatrième étage aile gauche, Jérémy se dirigeait vers la salle informatique où il rejoignait son groupe pour les travaux pratiques. La porte du labo photo s’ouvrit, une silhouette rousse l’attrapa par le bras, l’attira dans la pièce refermant rapidement derrière lui. Surpris, il n’eut pas le temps de réagir.
– Qu’est-ce que… ?
– Il faut que je te parle.
Devant lui se tenait la fille qu’il avait aidée lundi. De taille moyenne, de longs cheveux roux et de grands yeux verts, il se rappelait maintenant à quel point elle était jolie. Un peu troublée il grommela :
– Qu’est-ce que tu me veux ?
Elle soupira et prit la parole :
– C’est important…
Jérémy l’interrompit
– Écoute, je t’ai aidé lundi, c’était normal. Ma mère m’a appris qu’on ne frappe jamais une fille même avec une fleur. Pas besoin que l’on devienne pote ou que tu t’imagines quoi que ce soit OK ?!
Aveline écarquilla les yeux, il croyait qu’elle le draguait, non, mais ce n’est pas vrai, ego sur dimensionné en plus du reste !
– Tu n’y es pas du tout, lui répliqua-t-elle avec sérieux, ce que j’ai a te dire est très important et pourrait répondre à nombres de questions que tu dois certainement te poser.
Jérémy plissa un peu ses yeux, observa la fille en penchant la tête. Il écoutait quelque chose à l’intérieur de lui : il sentait qu’il devait prêter attention à ce qu’elle avait à lui dire. Il éprouvait comme une vibration entre eux, un sentiment de connexion, de familiarité étrange. Il tira un tabouret à lui, s’assis à califourchon :
– Je t’écoute mais fais vite, j’ai cours.
Aveline lui expliqua en partant de ce qu’elle avait observé. Ce n’était pas la première fois qu’elle réalisait l’exercice. Elle savait où commencer, comment tricoter son discours pour les convaincre, mais pour Jérémy, bien entendu cela ne se passa pas de cette manière. Il la regarda de ses yeux bleus nuit, intenses. Il l’étudiait sans rien dire. Elle sentait sur elle le poids de son aura magique. Elle s’en inquiétait même. Il apparaissait puissant pour un hybride. Elle devrait consulter le livre des lignées. Un tel assemblage de dons s’avérait inhabituel. Finalement, Jérémy se leva et lui demanda :
– Quelles sont tes preuves concrètes ? Qui me dit que tu n’appartiens pas à une sorte de secte qui cherche à recruter des jeunes paumées ? Qui me dit que tu n’es pas juste cinglée ? Reviens me voir quand tu pourras me prouver ce que tu avances.
Elle ne le retint pas. Elle aurait besoin de davantage d’information et de plus de temps pour le convaincre.
***
Ce soir-là, Jérémy ne trouva pas le sommeil. La conversation avec cette fille, Aveline, l’avait troublé plus que ce qu’il avait bien voulu lui montrer. D’abord parce qu’elle était jolie, très jolie, mais surtout parce que quelque chose de magnétique émanait d’elle. Elle connaissait ses particularités, elle savait ce qu’il endure, elle lui a donné une explication, il n’a juste pas voulu la croire. Il avait eu besoin de temps pour réfléchir, d’où sa réaction de rejet. Pourtant, pendant le récit, son esprit avait été assailli d’une foule d’images de sa mère, d’un homme brun aux cheveux longs et aux yeux aussi bleus que les siens, aussi noirs que les siens. Son père ?
N’y tenant plus, il prit son courage à deux mains. Assise à son bureau, studieuse comme toujours, sa mère ne l’entendit pas arriver et sursauta quand il l’interpella :
– Oh ! tu m’as fait peur ! Tu ne dors pas ?
– Est-ce qu’on peut parler maman ?
Sa voix vibrait grave, posée. Elle comprit que c’était important et obtempéra.
– Qui a-t-il ? Assieds-toi.
– Non je préfère rester debout….
Il lui fallut du temps, mais il parvint, sans s’énerver, à lui demander de connaître l’identité de son père. Mais, une fois encore, il n’obtient pas de réponse. Ce n’était pas tant le visage de sa mère qui lui confirma que le sujet resterait définitivement tabou, ce fut son silence… elle ne lui parla pas, elle était effrayée. Il perçut son reflet dans le miroir de la cheminée. Ses yeux luisaient, totalement noirs.
***
Aveline referma le livre des lignées. Elle s’en était douté, elle venait d’avoir la confirmation sous les yeux. Jérémy appartenait à la lignée du seigneur noir. Sa mission changeait : elle devait le tuer.