— biotope-one à man-one, tu me reçois ?
— C’est bon Jeff, pas la peine d’utiliser les codes, ce n’est pas comme si on était des millions sur cette fichue planète !
— OK, ne t’énerve pas ! Alors à quoi ça ressemble ?
— laisse-moi cinq minutes, je vais voir.
Je m’approche un peu plus de la parabole. Encore une fois, nous sommes déconnectés. Aucune communication possible avec la terre. Je suis de sortie pour tenter de réparer. Ma combinaison pèse des tonnes et j’ai du mal à manipuler les outils. Les gants gênent la précision de mes mouvements. Je donnerai tout ce que j’ai pour être ailleurs en ce moment. Comme à chaque sorties hors biotope, je ne vois rien. Ma vision est obscurcie par les poussières ocres que le vent ne cesse de me jeter à la figure comme s’il se moquait de moi, de nous, comme si c’était risible pour lui que des humains puissent désirer coloniser Mars. En plus, le jour s’achève.
Je me penche, ma lampe frontale éclaire la console informatique de l’antenne. J’observe, je triture et tente de resserrer les câbles de connexion. « Arrrhh ! j’en ai marre !!! ». Je balance ma clé avec colère. Ce p… de capteur fait encore des siennes. Dead! Elle est vraiment morte cette fois. Pas de recharge solaire sans capteur et donc plus de batterie. En plus, les fils tiennent à peine, d’où notre impossibilité de piloter l’antenne à distance. Ça fait des mois qu’on la répare sans cesse. Ce fichu vent toxique ! Je me sens découragé. Inutile de passer plus de temps sur place. Rentrer semble la décision la plus sage avant de congeler complètement. Cette fois de toute façon je ne peux rien. Il va falloir que nous nous organisions pour rapatrier tout ce barda à l’atelier.
— Man-one à biotope-one? J’appelle Jeff pour lui signaler où j’en suis
— ah ah ! toi aussi tu utilises les codes
— grr, la force de l’habitude ! Je l’entends rigoler doucement. Je crois qu’il souffre moins que moi de la mission.
— alors, à quoi ça ressemble ? Tu peux réparer, petit génie ?
— Non, là c’est foutu, je rentre et il va falloir qu’on y aille à plusieurs pour ramener l’antenne à l’atelier. J’espère juste qu’on a encore du matériel compatible
— Merde ! pff, OK je vois avec les autres comment nous allons nous organiser.
— À tout de suite
Je pivote sur moi-même, direction le biotope. Je lève les yeux pour évaluer le chemin, même de courtes distances sont pénibles à parcourir ici. Dans le ciel, on voit les deux lunes Phobos et Deimos, et des étoiles déjà. Je cherche notre planète bleue. Je sais qu’avec un peu d’attention, je peux l’apercevoir. Ce n’est pas comme un vrai clair de terre depuis la lune, mais cela reste une image pérenne qui me fait chaud au cœur. Je repense à ce cliché publié par la Nasa il y a plus de soixante ans qui m’avait fait rêver lorsque j’étais petit garçon. À l’époque, partir en mission interstellaire apparaissait fou, impossible, un but inaccessible, et pourtant, je l’ai fait. Aujourd’hui, je me dis qu’il est drôle de constater comme certains rêves d’enfant parviennent à se transformer en cauchemars lorsqu’ils se réalisent. L’amertume me gagne.
Cela fait trois ans que je suis en mission d’extraction sur Mars. 3 ans et 8 mois que je suis partie de chez moi. C’est le capteur qui nous permet de communiquer avec la terre qui est encore défectueux. Nous ne parvenons pas à produire suffisamment d’énergie pour les moteurs de nos fusées pour envisager de rentrer. On est coincés pour le moment. Bloqués sur cette planète aride et sans vie. Froide. Le fait de ne plus avoir de communication avec la terre augmente mon sentiment de solitude, mon isolement, à moi, mais aussi à mon équipe. Avec mes cinq autres compagnons, nous possédons tous un génome transformé, adapté, testé et optimisé grâce à la technique CRISPR/Cas afin de supporter ce type de mission avec un minimum de trouble psychique. Nous sommes conçus pour avoir un mental d’acier et un physique hors pair et pourtant cela ne suffit pas. Des surhumains encore trop humains. Malgré toutes nos spécificités, nous souffrons d’être trop longtemps isolés de nos semblables. Nous souffrons de la distance. Nous souffrons du manque de lien, du manque de communication. Cette fichue panne va prendre très vite des proportions de drame. Je soupire.
La porte du biotope s’ouvre puis se referme derrière moi de façon hermétique avec un clic familier. Je retire ma combinaison et je mets mes bouteilles d’oxygène en charge. Je me sens encore tendu et énervé, mais plus léger déjà. Je respire un grand coup et passe la main dans mes cheveux, mon humeur est plus noire qu’à l’accoutumé. Nous devons trouver le moyen de réparer pour communiquer avec la Terre et organiser la mission de retour. Cela devient urgent, pour moi surtout. Je descends le couloir en pente, direction les quartiers de vie. Nous vivons sous la surface pour éviter les rayons dangereux du soleil, lesquels nous tueraient. Nous avons créé un biotope : lumière blanche, plantes, fruits et légumes en culture hors-sol, chaleur, recyclage, production d’oxygène et d’eau, élevage de petits animaux. La vie est possible, mais minimale. Je m’avance vers ma chambre, je ne suis pas encore prêt à retrouver les autres. Il faut que je me calme avant. Dans cet environnement confiné, les émotions négatives sont une menace à la survie, elles empêchent la collaboration, la relation de travail. Elles nous mettent tous en danger.
Dans le couloir, je l’entends approcher. Une bouffée de chaleur et d’amour monte en moi. Je m’accroupis pour accueillir mon chien. C’est le Labrador de la station, il a fait le voyage avec nous quand il était chiot. Il est génétiquement modifié lui aussi, pour vivre plus longtemps. Il est la solution trouvée par nos scientifiques pour préserver notre humanité. Je crois que cela fonctionne. Je le sens à l’instant en moi, à mon sourire sur mon visage. Harold me regarde avec ses yeux doux, une balle dans la gueule, il veut jouer. Je lui fais une grosse caresse et m’empresse d’accéder à sa demande.