Etat d’Alabama contre Miss Jones.

Consigne : Ecrire une nouvelle à partie d’un fait divers.

La pauvre femme semble bouleversée. Elle passe juste le seuil de mon bureau accompagnée de ma secrétaire. Agée d’une cinquantaine d’années, elle est afro-américaine. Soignée. Manifestement, elle s’est mise sur son trente et un pour ce rendez-vous.Je me lève est lui tends la main avec énergie.
– Bonjour, Madame, je suis Laureen Addock, avocat. Merci d’être venue. Installez-vous, je vous en prie.Je lui montre le siège devant mon bureau et retourne moi-même m’asseoir.
– Madame Jones, en quoi puis – je vous être utile ?
Elle triture dans ses mains un mouchoir d’une blancheur immaculée qui contraste avec sa peau brune. Son menton tremble, alors que je la vois essayer de me parler. Ses yeux brillent, et de petites larmes s’échappent du coin de ses yeux.La secrétaire entre avec un plateau chargé de verres et d’une cruche d’eau. Un répit pour Mme Jones. Elle saisit un verre et le vide d’une traite. Je l’observe. Je connais bien ces comportements-là : ce sont des personnes qui viennent avec quelque chose de lourd, de très lourd. Leur gorge est sèche. Elles ont du mal à entamer leur récit, à me raconter. Comme si s’entendre dire leur histoire rendait celle-ci encore plus réelle, définitive, effrayante. Je patiente. Après un long soupir, ses épaules s’affaissent un peu, et Madame Jones commence :
– Ma fille a été inculpée d’homicide involontaire.
Du lourd, effectivement, je m’en doutais. Elle me regarde, je vois dans ses yeux la douleur d’une mère, l’angoisse.
– Expliquez-moi ce qui s’est  passé en détail.
Pendant trente minutes, Mme Jones me raconte. Je lui pose des questions. Je suis à la fois horrifiée et choquée par son histoire  et je décide d’accepter le dossier sans aucune hésitation. Je sais déjà que je ne demanderai pas d’ honoraires, par principe.  Parfois, c’est le rôle de l’avocat, juste défendre les principes…Je me lève, contourne mon bureau, m’approche de Mme Jones et lui prends la main. Avec toute la bienveillance dont je suis capable et en la regardant bien en face, je lui dis :
– Ne vous en faites plus, je m’en occupe.
Un pauvre sourire s’affiche sur son visage.

Le lendemain, à la première heure, je  suis à la prison du district au quartier des femmes. J’observe le lieu. Je ne comprendrai jamais comment la société peut croire que mettre les gens dans un environnement morbide et aussi déshumanisé  va les rendre plus humains, moins dangereux. Les fenêtres sont hautes et étroites. De massifs barreaux métalliques fragmentent la lumière et  projettent des ombres sinistres au sol. Ce dernier est en béton lisse. Il paraît graisseux d’avoir été mollement nettoyé de multiples fois avec une serpillière sale. Les murs, d’un beige incertain, ne font rien pour réchauffer l’atmosphère. Deux chaises et une table vissés au sol complètent le tableau. La pièce est à l’image de l’institution carcérale : grise, froide, rigide…J’entends la porte s’ouvrir,  je me retourne. Mademoiselle Jones est là. C’est une  jeune afro-américaine de 27 ans. Elle est soignée. Son visage est encore un peu poupin, elle ne fait pas son âge. Ses yeux sont profondément cernés, ses lèvres gercées. Elle est pâle. Ses mains sont menottées. La similitude avec sa mère est frappante, tant par leur attitude que par leur apparence physique. Par comparaison avec sa combinaison orange réglementaire et son aspect livide, je me sens soudainement outrancière, avec mon tailleur et mon maquillage. Je me présente et lui propose :
– Asseyons-nous si vous voulez bien ?
Elle hoche la tête et s’installe sur une des chaises. Je prends l’autre.
– Je suis votre avocate. Votre mère m’a engagé hier pour vous  aider. Je vais faire mon possible pour vous sortir de là, mais avant que nous commencions, dites-moi,  avez vous été traitée correctement ?
Elle me regarde, un peu étonnée et répond :
– Oui oui, ça va, je suis dans une cellule hospitalière.
Je hoche la tête et me rappelle qu’elle a été gravement blessée.
– OK, alors allons-y. J’ai besoin d’avoir votre version des faits. Racontez-moi votre histoire et toute la vérité, que je puisse vous être utile.
Elle soupire, se frotte le nez. Les menottes cliquettent. Son regard se perd au loin, vers les lucarnes. Elle commence son récit :
– J’étais à la maison avec mon homme. Le père de mon bébé. Je.. Je.. Je ne suis pas une personne violente, je me suis juste sentie profondément trahie. J’ai vu rouge.
Elle soupire.
– Il était dans sa douche quand il a reçu un message. Comme on attendait la réponse de l’employeur, vous savez, avec le bébé, il nous fallait des sous.  J’ai regardé son écran pour voir si c’était la réponse. C’était Betty Winter, cette salope !
Elle me regarde:
–   Excusez-moi pour le langage.
Je hoche la tête
– C’était un  sexto avec une  photo… – Mademoiselle Jones s’agite sur sa chaise – dégoûtante. Je n’en croyais pas mes yeux. J’ai fait ce que je n’aurais pas dû faire, j’ai regardé le fil de leurs échanges. Des mois qu’ils ont une relation !!! J’étais mal, le bébé tapait dans mon ventre. J’ai pris mes clés et mon sac et je suis allé la trouver. Elle était au parc, comme d’habitude. J’ai balancé mes affaires au sol et  devant tout un groupe de voisines, je l’ai violemment bousculée, en frappant, aux épaules. Tout s’est accéléré, nous nous sommes battues, violemment. Je  ne sais pas combien de temps cela a duré, mais à un moment, j’ai vu une arme dans ses mains. Elle a tiré plusieurs fois, m’a raté puis m’a touchée. La douleur était atroce. J’ai perdu connaissance. Je me rappelle juste d’avoir entendu la sirène de la police. Je me suis réveillée ici, à l’hôpital carcéral…
Ses mains tremblent, son visage est livide, de lourdes larmes coulent sur ses joues. Elle me regarde. Tant de douleur dans ses yeux !  Mon cœur se serre.
– Je me suis réveillée ici, le ventre vide. Mon bébé est mort et je suis accusée de l’avoir tué.

basé sur le fait divers : Lien ici vers l’article en anglais qui a servit de base.

14 mai 2023

Rose Lorang

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